Il fait beau. J'essuie tranquillement des verres à pied en fredonnant Pocahontas quand Juan entre d'un pas vif dans le café et, ignorant la litanie de bienvenue des employés, se dirige droit vers moi.

Juan est un de nos clients réguliers. Né au Brésil d'une mère japonaise, il est grand et ressemble beaucoup à un de ces vacanciers éternels dont le teint épais, trop halé par des heures prolongées sur des transats d'hôtel club, à fini par prendre une couleur sombre. Il l'a probablement hérité de son père, tout comme ses yeux tombants qui lui donnent un certain un air de cocker. Les tempes rases, les mèches noires plaquées en arrière par le gel, le regard dur, Juan est un ténébreux. Un vrai. Avare en paroles, mystérieux, il effraie les serveuses de notre bar. Ses visites n'ont aucune régularité, il est imprévisible. Il reste assit trente minutes au bout du bar, sans parler à personne, avant de repartir. Cependant, l’effet est toujours le même : Tous les regards convergent vers moi, dans une imploration silencieuse. 

Il ne m'a pas fallu longtemps pour comprendre que si ce cinquantenaire vient régulièrement chercher refuge sur nos tabourets, c'est surtout par solitude. L'histoire qu'il me raconte par épisode à chaque venue, justifie probablement l'impression sinistre qu'il véhicule.

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Jerry Miller - Mysterious Man

Jerry Miller - Mysterious Man

Fuyant il y a trente ans, la dictature militaire brésilienne de Branco, après le décès de sa mère et l'emprisonnement de son père pour rébellion, il quitte le pays pour sauver sa propre liberté. Journaliste, comme sa mère, il trouve asile au Japon, seulement pour comprendre que personne ne l'y attend. Sa famille maternelle n'ayant jamais accepté l'union de leur fille, il vit grâce à une pension versé par l'état pour son statu de réfugié. Ce qu'il fait jusqu'au jour où il atterrit devant notre comptoir reste un mystère. Mais avec son air de Yakuza courroucé, les rumeurs vont bon train dans les cuisines.
Certains prétendent qu'il fait effectivement partie de la mafia, et que l'on a deviné l'ombre un tatouage sur un avant-bras le jour où il a enlevé son manteau avec un peu trop de zèle. D'autres affirment l'avoir aperçu aux prises avec des gendarmes un soir d'hiver, dans la lueur des gyrophares. Une serveuse évoque avec effroi qu'il est la seule personne à utiliser l'antique cabine de téléphone du coin de la rue, alors que tout le monde possède un téléphone de nos jours.

Moi j'en sais rien. C'est un client. Il est poli. Ça me suffit. La semaine dernière encore, m'inquiétant devant une mine un peu plus funeste que d'ordinaire, j'apprenais qu'il venait de se faire larguer par la femme de sa vie. L'histoire banale de type normal en somme.

En attendant, Juan se tient là devant la lumière. Sa carrure en manteau noir à contre-jour le rend plus impressionnant encore, mais je décèle tout de suite quelque chose d'inhabituel : Il arbore un minuscule sourire en coin.

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- Bonjour, dit-il avant de se rapprocher comme pour me confier un secret. Ça t'intéresse un visa permanent pour le Japon ?

#BenVoyons #Sérieusement?! #OuhLala

Je reste interdite. Mon absence de réaction semble le contrarier. Pourtant dans ma tête, c'est le branle-bas de combat. L'agitation est telle que mon cerveau à oublié d'envoyer le signal "sourire poli" à mon visage. En une fraction de seconde, je passe en revue toutes les informations libellées sous le mot-clef "visa" contenues dans ma mémoire. En croyez-moi, la section sur le sujet occupe une place prépondérante dans ma bibliothèque mentale.

Le statut de résident permanent est loin d'être facile à obtenir. Ça n'est pas un visa, mais plutôt une sorte de carte verte qui permet à l'obtenteur de vivre au Japon sans restriction de durée, tout en conservant sa nationalité d'origine. À de nombreux égards administratifs, c'est un statut avantageux pour tout étranger souhaitant s'établir durablement sur l'archipel. Inutile de préciser que la route pour l'obtention est constituée de pavés de patience, cémentée de persévérance. Cependant, venant tout juste d'acquérir un beau visa de travail, je n'ai jamais encore sérieusement songée à cette étape tellement sa silhouette de possibilité est lointaine.

En l'espace de deux battements de cils, le rapport d'analyse encéphalique tombe :

Battement 1- La base virale VPS a été mise à jour.

Battement 2- ALERTE ! Ce qui va suivre à 99,42% de chance d'être illégal.

- Juan, c'est gentil mais, c'est pas un peu hors-la-loi ?

#SoyonsHonnêtes

Son visage se fend maintenant d'un sourire sarcastique. Il m'explique avec un regard fuyant que puisque lui-même possède le statu évoqué, il peut m'aider à l'obtenir. Il suffit juste de se rendre au bureau de l'immigration. C'est l'affaire d'une signature.

Je tique. Il ne serait pas en train de me proposer un mariage blanc, parbleu ?! Deuxième analyse en cours... Attends. Vraiment ? Tu as besoin de faire une analyse pour ça ? Mais la réponse est NON, bien évidemment ! Hors de question de ruiner tant d'années de dur labeur à mériter de la reconnaissance pour tomber dans un coup aussi bas. Et aussi illégal. Merci chère conscience, parce que l'espace d'un instant...

Ma réticence semble le blesser. Il poursuit.

Tu sais, moi je veux juste t'aider. Il le faut bien, entre étrangers au Japon. Mais si tu as des doutes sur ma bonne foi, allons boire un verre ensemble. Alors tu pourra décider par toi-même.

#BenVoyons2 #MaisOuiBienSûr #JeVaisEnDiscuterAvecMonAvocat

Je lui répond que je suis heureuse qu'il ai pensé à moi, mais que mon visa me suffiit et que je suis déjà en couple. A ces mots, je lance un sourire enjôleur à Tomo au fond du bar, celle-ci agite la main en retour, par réflexe. Mais c'est la réaction attendue. Juan me regarde en haussant un sourcil et me laissequand même son numéro. Raté.

Est-ce une des formes de la rançon du succès ?

<< Vidéo par NHK Aichi, diffusion du 24 janvier 2017 >>

Résumé : Le Glocal Café de Nagoya emploie depuis peu une Française (!), afin de mieux adapter ses services à la clientèle étrangère. Le patron est absent, mais le manager explique pourquoi l'établissement a fait le choix de proposer certaines recettes adaptées au goûts de la région, ainsi que des bières brassées localement. Concernant le tourisme à Nagoya, la jeune femme (!) nous explique à quel point l'offre touristique est limitée en comparaison des réelles possibilités du territoire, nécessitant une meilleure implication de la ville dans son essor touristique.

#BTSTourisme #JobDeMaVie

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